Article publié dans Le Monde libertaire 1782 - du 15 octobre au 14 novembre 2016
Lorsque mon amie Mélusine m’a proposé d’écrire un
article pour ce numéro consacré aux problématiques "LGBT", ma première
réaction a été de me dire qu’en tant que lesbienne et féministe
radicale, je ne me reconnais pas et je ne me suis jamais reconnue sous
cet intitulé LGBTQ... I... Y... Z... et plus si affinités ! Trop de
lettres dans une formule qui, une fois de plus, vise à ensevelir les
femmes sous un fourre-tout mélangeant femmes et hommes, de tous bords
politiques, diluant les préoccupations, l’Histoire et les spécificités
du vécu des femmes. Femmes otages de revendications politiques qui ne
sont pas les leurs. Défiler derrière une banderole portant des mots
d’ordre pro-prostitution ou encore pro-GPA, lors de marches des fiertés,
censées représenter TOUTES les lesbiennes. Nous menant ainsi tout droit
à la coupure d’empathie et au sabotage de la sororité si vitale pour
les femmes, opprimées et sacrifiées au nom de la toute-puissance
libérale patriarcale !
Femme-ventre, femme-oreille, femme-vagin, femme-épaule, femme-petites-mains, femme-faire-valoir...
L’illusion, aussi, qu’il suffirait de vouloir
inverser le rapport de force et que l’on pourrait adopter les codes des
oppresseurs pour parvenir à changer la donne. Joliment briqués derrière
une vitrine des plus fun et branchouille, intitulée "performances de
genre" !
À mesure que je fréquentais le milieu LGBT, force
était de constater qu’il contribue avant tout à cultiver chez les
lesbiennes une certaine dose de misogynie, les rendant dissociées,
alliées des hommes gays, mais surtout pas de toutes les femmes ni
d’elles-mêmes ! "Ne me libérez pas, je m’en charge !" disaient nos
soeurs d’hier ! Avons-nous donc oublié ?
Et puis, j’ai pensé à l’émotion que j’ai ressenti,
cet été, à l’annonce si discrète de la mort de Françoise Maillet-Joris,
autrice qui m’était jusqu’alors inconnue. Aucun article ne la présentait
comme faisant partie de l’Histoire des cultures lesbiennes, pas plus
que comme ancienne Compagne de Marie-Paule Belle. Dans le texte : "celle
qui a vécu avec", "sa collaboratrice", mais pas CELLE QU’ELLE A AIMÉE,
SON AMOURE, SA COMPAGNE. Il avait dû falloir pourtant une bonne dose de
courage à cette femme, alors âgée de 19 ans, pour publier en 1951 un
premier roman lesbien, "le rempart des béguines", alors que Françoise
Sagan, derrière "Bonjour Tristesse", resterait longtemps contrainte à se
dissimuler dans un placard à double fond ! Une fois de plus, les médias
effacent l’identité lesbienne de ce parcours de femme, jusqu’après sa
mort et, par conséquent, nous empêchent d’écrire notre Histoire, plus
encore que l’Histoire du Peuple des Femmes.
Nous sommes les clandestines !
- Maman a prévu deux petits lits séparés de hauteurs
différentes, dans la chambre, pour scinder notre couple jusque dans
notre intimité.
Ma compagne refuse que je décroche le téléphone filaire de notre appartement, qui lui sert de lieu de travail. Ses collègues pourraient comprendre...
Ma compagne refuse que je décroche le téléphone filaire de notre appartement, qui lui sert de lieu de travail. Ses collègues pourraient comprendre...
- Je n’ai pas pu accompagner ma compagne lors du
voyage annuel offert par sa boite dans un luxueux hôtel Marocain. Les
cadres étaient invités à profiter de ce moment de détente avec leur
conjoint, mais moi je n’ai pas d’existence...
- Mon nom ne figure pas sur la porte de l’appartement, pas plus que sur le bail. Nous avons craint les représailles lesbophobes.
- Nos regards restent en alerte dans l’espace public, et nos mains se lâchent brutalement au moindre signe de haine lesbophobe.
- Nous ne pouvons pas nous embrasser librement lors
des départs sur les quais de gare. Les regards insistants me mettent mal
à l’aise.
Ma vie est un coming-out permanent : travail, médecin, administrations...
Nous n’avons pas d’Histoire.
Ma vie est un coming-out permanent : travail, médecin, administrations...
Nous n’avons pas d’Histoire.
- Au Collège, les cours d’éducation sexuelle étaient hétéronormés. J’ai longtemps pensé être une femme sans désir.
- Le cinéma ne nous représente pas, ou nous vole
tout ! Femme aux cheveux bleus. "le bleu est une couleur chaude", oeuvre
de Julie Maroh pillée, piétinée... Abdellatif Kechiche... homme se
croyant légitime à représenter des amoures lesbiennes, nous
instrumentalisant au bénéfice des désirs masculins.
- Violette Leduc n’a pas fait partie des autrices à
découvrir lors de mon cursus en Bac Littéraire et, pourtant... Et
pourtant...!
- Les sites de rencontres proposent les cases "bi
curieuse", "active", "passive", pour ne jamais inviter les femmes qui
font le premier pas vers elles-mêmes à se reconnaître tout à fait.
- Bouleversée à la lecture d’un rare témoignage d’une
femme ayant perdu sa compagne. Je réalise que je n’avais aucune
représentation du deuil pour un couple lesbien. Aucun magazine ou autre
média ne m’en a donné la possibilité. Pourtant, nous sommes confrontées
aux mêmes affres de la vie, de même que nous vieillissons aussi.
Où sont ces femmes ?
- La première fois que j’ai embrassé une femme, j’ai pensé "c’est mal, mais qu’est-ce que c’est bon !"
- À 15 ans, dans ma petite ville natale, je n’avais
aucune possibilité d’identification à des lesbiennes, pas de mots pour
imaginer ou vivre ma réalité. À 19 ans j’ai dû partir !
- À 15 ans j’étais lesbophobe, parce que colonisée
par le système patriarcal dans lequel je baignais comme toutes
individues. J’avais déjà intégré la haine des femmes et de mon
lesbianisme.
- La gynécologue m’a débité un questionnaire hétéronormé et a parue gênée, lorsque je lui ai dit que je n’étais pas concernée.
- À la réception de l’hôtel, face au regard intrusif
du réceptionniste, ma compagne, envahie par la honte, m’a fait passer
pour sa nièce.
- À la pause entre collègues je ne partage pas les anecdotes sur mon quotidien. Les miennes auraient un goût de désordre.
Je suis femme, lesbienne, et ainsi érigée, je suis un affront.
Je suis femme, lesbienne, et ainsi érigée, je suis un affront.
- Elle dit qu’elle a eu un béguin, une attirance pour une femme, mais elle était bien jeune..., enfin c’était avant ...!
- Elle est en colère contre elle-même d’être troublée
par une femme. Elle dit que c’est trop tard. On ne devient pas
lesbienne à 50 ans, ça ne se fait pas !
On m’a souvent dit que je ne faisais pas lesbienne !
On m’a souvent dit que je ne faisais pas lesbienne !
- Elle dit, concernant le partage charnel entre
femmes, que de nos amours hors-normes, tout reste à inventer, et j’aime
cette idée !
Reconnaissons-nous femmes, amies, amoures et soeurs,
dans un espace sécure, que nous nous offrons, pour nommer, dire,
partager, ressentir, s’écouter, s’écrire, se définir, se préférer, se
choisir, se soutenir, et amorcer ainsi un nouveau virage. Car c’est bien
de cela dont il s’agit et dont nous avons vitalement besoin !
Esquisser ensemble les contours de la sororité pour ne plus être les clandestines aux consciences mutilées !
Periquita
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