
Tandis que depuis bientôt soixante-dix ans que les Palestiniens ont
été expulsé de leur pays en 1948 (et en 1967), ils n’ont toujours pas
reçu les dédommagements prévus par les organisations internationales
après la création de la ligne verte devant soi-disant marquer les
frontières entre Israël et ses voisins... Pour synthétiser, après les
accords de Camp David ; après la guerre du Liban et le terrible épisode
de Sabra et Chatilla, entraînant les troubles permanents entre
Palestiniens et Israéliens en Cisjordanie et dans la région de Gaza ;
après la première Intifada, la ‘guerre des pierres’ en 1987 et
l’enlisement de la situation entre l’Etat militaire israélien et
l’Autorité palestinienne ; après le début de la colonisation de la
région par l’Etat d’Israël ; après la seconde Intifada d’octobre 2000,
il aura encore fallu attendre 2001, pour que d’immenses manifestations
soient organisées à Tel Aviv et en Palestine, insufflées par le
mouvement de solidarité international avec le vague espoir d’arriver à
un compromis…
Mais, suite à la destruction du camp de réfugiés palestiniens de Jénine
en 2002, les violences redoublent contre les Palestiniens. Ceux qui
vivent encore en Israël sont victimes d’un apartheid tandis que les
colons israéliens commencent à construire une ‘barrière de sécurité’ (ne
respectant que 20 % de la fameuse ligne verte) entre les deux peuples,
les coupant de tout contact, empêchant les Palestiniens d’aller
travailler en Israël - pour des salaires de misère.
Pendant ce temps, les colons israéliens occupent leurs terres situées de
l’autre côté de la ‘frontière’, détruisent leurs maisons, leurs
oliviers et leur confisquent leurs sources d’eau potable.
Il faudra encore attendre 2003 pour voir la création des Anarchistes contre le Mur, en réaction à la construction de ce qui est devenu effectivement un véritable mur; à l’image de celui de Berlin.
La lutte contre le mur s’intensifiera en décembre 2003, quand Gil
Na’amati - un Israélien faisant partie du mouvement - se fera tirer
dessus à balles réelles par les militaires israéliens, ce qui provoquera
une vive réaction, tant en Palestine qu’en Israël.
C’est à partir de février 2005 que les militants des Anarchistes contre le Mur
décident de se rendre tous les vendredis dans les villages limitrophes
de la ligne de démarcation, à Bil’in, Nil’in, Ma’asra et beit Ummar. Les
militaires israéliens classent ces villages détruits par les colons
israéliens en ‘zone militaire’. En 2009, un millier de personnes
(Israéliens et Palestiens) défilent à Tel Aviv contre la guerre de Gaza.
Dénoncés comme ‘traîtres et fauteurs de troubles’, 700 Palestiniens
sont arrêtés. Depuis, les militants des Anarchistes contre le Mur
manifestent leur soutien au peuple palestinien tous les vendredis dans
les villages cisjordaniens situés le long du mur.
Les Editions libertaires ont rassemblé dix textes de sensibilités
différentes de ces militants dans un petit recueil qui témoigne de
manière crue et sans fard de leur révolte contre un état militaire et
colonialiste, de leurs motivations, de leurs doutes et de leurs
contradictions, mais surtout de leurs espoirs.
L’ouvrage s’ouvre sur un avant-propos d’André Bernard et Pierre
Sommermeyer, et une préface de Ilan Shatif qui nous explique le pourquoi
de cette édition française, avant de laisser la parole à Uri Gordon et
Ohal Grietzer qui ont rassemblé lesdits textes.
Pour bien nous mettre dans le contexte, le fascicule présente plusieurs
déclarations et discours qui ont jalonné l’existence du mouvement, avant
de céder la place aux commentaires des militants.
Le premier est celui de Leenee Rothschild, qui raconte, sans fioriture
aucune, l’histoire du petit village de Nabi Saleh (région de Ramallah)
dont les 500 résidents protestent tous les vendredis contre l’occupation
et les colons qui leur volent leur source d’eau potable. Leenee raconte
le jour où la police militaire tire à balles réelles, tandis que Uday,
un Palestinien est arrêté avec deux militants israéliens. Deux poids,
deux mesures : Uday écopera de 8 mois de prison, tandis que les deux
israéliens seront relâchés.
Plus tard, Mustafa Tanimi, un autre Palestinien, sera blessé à la tête
par une lacrymo lancée à bout portant par un militaire et mourra de la
suite de ses blessures. La description des funérailles est poignante.
Petite consolation, deux ans plus tard, un groupe obstiné de femmes
palestiniennes réussira à atteindre pour la première fois la source
volée par les colons, dans le village de Leehee Rothschild.
Le second texte de Kobi Snitz constate que, si le Mur est terminé, la
partition de la Cisjordanie sera permanente et irréversible, tandis
qu’aucun parti israélien ne soutient la lutte contre sa construction. Il
constate amèrement que, même dans la lutte aux côté des Palestiniens,
les Israéliens restent des privilégiés et que ce sont les Palestiniens
qui prennent le plus de risques.
Roy Wagner nous fait pénétrer dans Tel Aviv, la plus belle ville du
monde… entourée de militaires ! Il nous fait voyager de l’autre côté du
miroir touristique et bourgeois, dans le quartier de la gare routière,
dont la vieille population arabe, juive-yéménite et caucasienne a été
expulsée, tandis que les Philippins ont fini par fuir les derniers
vestiges sur la colline, laissant la place aux derniers arrivants, les
Soudanais et les Erythréens qui y vivent dans des conditions de misère.
Roy nous parle de ces jeunes israéliens qui oublient un peu vite, une
fois leur service militaire effectué, leur position d’oppresseur des
Palestiniens. Il milite avec les Anarchistes contre le Mur et travaille
dans une ONG, « Peut-être encore une façon pour moi de ne pas parler de
l’occupation à ma propre communauté », conclue-t-il.
Tali Shapiro, dans un registre de sincérité confondante, se pose la question de l’image que renvoient les militants Anarchistes contre le mur
qui, à force de défendre leurs convictions, isolés des leurs, sont
devenus petit-à-petit des loups solitaires et auto-suffisants. Les mâles
ashkénazes sont les plus machistes, vouent un culte au héros, tandis
que les femmes et les gays sont discriminés, tout comme que les Mizrahi,
les russophones, les handicapés et les personnes âgées. Pour Tali, au
final, les militants des Anarchistes contre le Mur devraient se poser des questions, car selon elle, « le privé aussi EST politique ».
Pour Sarah Assouline, juive canadienne immigrée en Israël (qui vit dans
une bulle), aujourd’hui, ce sont les assassins qui sont des héros ! Elle
a découvert l’autre face d’Israël en commençant à participer aux
manifestations hebdomadaires des Anarchistes contre le Mur, « pour
obliger les gens à prendre conscience qu’il y a bien occupation,
nettoyage ethnique (80 % des Israéliens a soutenu le massacre de Gaza),
et que les Palestiniens existent ! Mais on dirait que le monde n’a pas
encore assez bu de sang palestinien » éructe-t-elle.
Iris Arieli se penche sur les situations d’urgence que vivent les Anarchistes contre le mur
et leur négligence du soutien post-traumatique lorsqu’ils rentrent
d’actions violentes et qu’ils souffrent de dissociation, d’évitement et
de flash-backs. Ils finissent épuisés de l’intérieur et ont une image
négative d’eux-mêmes. « Il faut prendre le temps de prendre soin de soi malgré l’urgence de l’action », est sa conclusion.
Uri Ayalon revient sur la naissance des Anarchistes contre le Mur
et le rôle non négligeable qu’ont joué des journalistes engagés et
courageux qui n’ont pas hésité, au risque de perdre leur job, à les
faire connaître, sinon reconnaître - car pour ce dernier, « Dans le
combat pour la vérité, une caméra est une arme efficace », avant
d’avertir : « Aujourd’hui, Plus personne ne pourra dire.. ‘Je ne savais
pas’ »...
Yossi Bartal se demande comment, en tant que militant anarchiste et
queer, combattre un Etat d’occupation, après le recul enregistré après
la seconde Intifada, la reprise du contrôle religieux, nationaliste et
militariste. Le retour en arrière, les violences homophobes contre la
Gay Pride de Tel Aviv, et la même ségrégation qui sévit en Palestine...
Cependant, il convient : « Ce n’est pas notre combat de changer et
contester la culture palestinienne avec ses éléments patriarcaux,
militaristes et homophobes, mais celui de nos camarades palestiniens
auxquels nous devons offrir notre solidarité ».
Ruth Edmond se penche sur la difficulté de garder ses amis et de bons
rapports avec sa famille quand on est un militant radical. On s’en
éloigne progressivement. Elle se souvient de l’assassinat de Mustaa
Tanimi, tandis qu’une amie lui dit « Tu ne vas tout de même pas y aller ? Mais comment aurait-elle réagi si un juif avait été tué ? ». Ruth pense qu’il faut continuer à parler à ses amis à se famille, « afin qu’ils n’enfouissent pas leur tête dans le sable ».
Enfin, Chen Misgav, durant une manifestation à Nabi Saleh, décide de
garder son insigne arc-en-ciel (gay et queer) et de continuer à
l’arborer. Il y fait une rencontre qui va changer sa vision du monde :
il se lie d’amitié avec un jeune Palestinien de Ramallah. Durant le
week-end qu’il passe pour la première fois en terre palestinienne, il
visite le siège de l’Autorité palestinienne interdite aux juifs par la
loi, et même la tombe de Yasser Arafat, « J’espère que beaucoup
d’Israéliens auront l’occasion de faire connaissance des habitants d’une
ville de l’autre côté de la frontière, où par temps clair, on peut voir
Tel-Aviv ». Nous l’espérons également !...

Les anarchistes contre le mur
Editions libertaires
134 pages – 13 €
En vente à Publico (145 rue Amelot 75011 Paris ou sur la
librairie en ligne)
Source :
http://www.monde-libertaire.fr/?article=Les_anarchistes_toujours_contre_le_mur_!