La mobilisation contre le G7 de Biarritz a été un énorme
fiasco, avec une cristallisation des divergences stratégiques et
organisationnelles au sein du milieu militant. Légalisme non violents
d’un côté, insurrectionnalisme à courte vue de l’autre… C’est la rançon
d’une mobilisation sans objectifs.
Le contre-sommet du G7 avait été organisé depuis
septembre 2018 par une plate-forme double (une basque et une hexagonale)
composée de différentes organisations et associations, notamment Attac,
les Amis de la Terre, la LDH et diverses ONG, soutenues par plusieurs
organisations politiques et syndicales. Peu avant le contre-sommet, les
groupes révolutionnaires locaux qui participaient à l’organisation (les
collectifs anarchistes locaux IPEH Antifaxista et Indar Beltza)
s’étaient retirés de la plate-forme, déplorant l’opacité des décisions
et les pratiques autoritaires qui y prévalaient.
Tout le monde se retrouvait néanmoins à Urrugne, sur le campement
aménagé pour recevoir 10 000 contestataires. Un « village
altermondialiste »
isolé par les autorités… à 30 kilomètres de Biarritz, où se tient le
G7, et à 7 kilomètres d’Hendaye, où se tiennent les conférences du
contre-sommet.
Le campement d’Urrugne, à 7 kilomètres d’Hendaye.
cc Pierre-Olivier Chaput/Radio Parleur.
Du début à la fin, sur ce camp d’Urrugne, il y aura peu d’animation
politique : quelques stands de gilets jaunes avec journaux locaux et
tracts, quelques anarcho-syndicalistes et autonomes. Les policiers ont
d’abord été autorisés par les organisateurs et organisatrices à pénétrer
dans le camp, et ont procédé à des contrôles. L’ambiance a vite été
délétère, entre les prêcheurs de l’insurrection immédiate d’une part,
rejetant toute règle (vue comme arbitraire) et toute discussion avec les
organisateurs du contre-sommet volontiers traités de « collabos » ;
d’autre part les institutionnels et légalistes de la plate-forme,
chantres de la non-violence, hostiles à toute autre forme d’action, et
autoritaires dans la communication des informations, la prise de
décisions et l’organisation des actions.
Tentative avortée de bloquer l’autoroute
Dès vendredi, vers 16 heures, après s’être installé·es, environ 300
militantes et militants entament une manifestation sauvage près du camp,
avec pour but le blocage de l’autoroute. Aucune casse en traversant la
ville, pas d’incidents notables. La manifestation arrive face à un
important barrage de fourgons des forces répressives, qui les attendent à
l’entrée de l’autoroute. Derrière, les « Brigades de répression de l’action violente »
(Brav, créés en mars, pendant le mouvement des gilets jaunes) bloquent
la voie empruntée à l’aller. En réponse, quelques cailloux sont envoyés
dans leur direction, après quoi ils répliquent en tirant dans le tas
avec leurs LBDs, sans aucune sommation.
Cela révèle la posture des forces de l’ordre pour toute la durée du
contre-sommet : attendre et/ou provoquer le moindre faux pas pour
réprimer le plus violemment possible.
Le cortège suit l’itinéraire imposé par la police sans problèmes.
Drones et hélicoptères le survolent et surveillent son évolution. Malgré
cela, les forces de répression tentent des intrusions dans le cortège à
deux reprises, d’abord un motard de la gendarmerie, puis une voiture de
la Brigade anticriminalité (Bac), virés tour à tour du cortège. Les
provocations deviennent menaces lorsque les Brav foncent sur les
manifestantes et manifestants, les attaquant à coups de matraques et de
LBD. Des blessé·es sont à déplorer, ainsi que plusieurs arrestations
d’une violence extrême. Les agressions policières se poursuivent à
l’encontre des manifestantes et manifestants qui cherchent à rentrer,
jusqu’à l’entrée du camp où enfants et personnes âgées sont installé·es
pour le contre-sommet.
Peu après le retour et le récit des camarades participant-es, nouveau
rassemblement sur la route en bas du camp. Les forces répressives
reviennent. Elles sont accueillies par des manifestant·es mis·es en
colère par la répression qui a précédé. Après un moment de simple
présence, les forces répressives se remettent à tirer au LBD, à envoyer
des grenades lacrymogènes sur les gens, qui remontent sur le chemin vers
le camp. Des barricades sont dressées, jets de pierres en réponse à
l’agression des CRS. Ces derniers finissent par redescendre et se
retirer après quelques derniers jets de grenades et tirs de LBD.
Quinze mille personnes à Hendaye
Samedi matin à 11 heures, à Hendaye, la manifestation est déclarée.
Quinze mille marcheurs et marcheuses défilent sous divers drapeaux
d’organisations politiques, syndicales et associatives, entre autres
Attac, Ensemble, la CNT, Extinction Rébellion (XR), SUD-Solidaires,
Oxfam, etc. On entend des chants pour la libération des prisonniers
politiques basques. On reconnaît aussi les slogans des samedis Gilets
Jaunes à Bordeaux.
La police se tient en retrait. Dans la ville il y a peu de monde
outre les 15.000 manifestant-es annoncé-es. La plate-forme a prévu un
service d’ordre de plusieurs centaines de non violent-es, notamment
d’Alternatiba et d’Attac, qui protègent en chaîne humaine les banques et
autres symboles capitalistes de toute action qui aurait pu les viser,
tout en scandant des slogans anticapitalistes. Elle défend ainsi sa
décision arbitraire et unilatérale de soumission et d’enchaînement au
système capitaliste et à l’État, qu’elle nomme pudiquement « consensus d’action ».
Les organisations non-violentes se sont ainsi faites les auxiliaires
objectives des forces de répression, allant jusqu’à tenter d’empêcher
les personnes agacées par cette attitude de sortir du cortège et de
changer d’itinéraire.
À Hendaye, la manifestation du 24 août a attiré 15.000 personnes.
cc Pierre-Olivier Chaput/Radio Parleur
Après avoir été défendu par les manifestant·es, un homme se fait
arrêter : trouvant d’abord refuge dans un bar devant lequel ils et elles
s’interposent avant d’être écarté-es par les policiers, hués par la
foule, il est finalement interpellé. Cet exemple montre bien qu’à
l’inverse des positions tranchées de la plate-forme qui n’a pas
communiqué sur les multiples arrestations ni sur les blessé·es ou
l’infiltration et le fichage policiers, les contestataires du G7
n’étaient pas dans leur globalité aussi aveugles sur le rôle historique
des forces répressives ou sur l’action non violente. Tout le monde ne
rentrait pas dans la logique de reddition des organisations de la
plate-forme.
La manifestation finit sans plus d’incidents à Irun, côté espagnol de la frontière.
Le Pays basque bouclé par la police
Dans la région, contrôles systématiques de toutes les voitures,
fouilles intégrales et intimidations sont la norme. Les voitures sont
arrêtées et contrôlées tout le long de la route. Trois militants
allemands ont ainsi été interpellés, et deux emprisonnés, sans autre
motif que leur possession de brise-glace et de documents liés à la
gauche radicale.
Table ronde « Ripostons à l’autoritarisme ! » au contre-G7, le 21 août.
cc G7EZ
À Bayonne, zone interdite aux manifestations, plusieurs appels à rassemblement tournent ;
des policiers et gendarmes à tous les coins de rues, ils contrôlent au
hasard les passant-es, les ponts sont bloqués par des barrages avec
nouvelles fouilles systématiques. Le Petit Bayonne s’en trouve
verrouillé. Certain-es militant-es se font contrôler six fois de suite.
De nombreuses arrestations préventives. Ambiance d’occupation, blindés,
canons à eau, nombreux voltigeurs hués par la foule. Les forces
répressives ont commencé à encercler la zone, finissant par la fermer
totalement avec des grilles anti-émeutes mobiles. Les personnes ayant
prévu de manifester sont éparpillées en petits groupes du fait de
l’omniprésence des forces répressives, et régulièrement intimidées.
Le rassemblement a lieu à l’entrée de la ville sur la presqu’île, environ 500 personnes participent ;
des affrontements ont lieu entre manifestant-es non équipé-es d’un côté
et forces répressives, avec canon à eau, hélicoptères, drones et Brav
de l’autre. Après un grand nombre d’arrestations de manifestant-es, le
rassemblement se termine par une nasse très longue. Le soir, des
affrontements ont lieu sur le camp, en réponse aux provocations des
forces répressives.
L’annulation des actions de blocage
Le dimanche, la plate-forme annule sept actions de désobéissance civile. Selon Le Canard enchaîné,
(1) le ministère de l’Intérieur aurait négocié cela en échange d’une
autorisation officieuse de la « marche des portraits » à Bayonne… qui
par ailleurs sera un échec, en ne rassemblant que peu de monde.
Le lendemain, les deux plateformes anti-G7 ont opposé un démenti formel aux informations du Canard (2).
La nuit de dimanche à lundi, dernière confrontation avec les forces
répressives qui sont revenues harceler les participantes et participants
par des contrôles incessants à l’entrée du camp après avoir contrôlé
les gens le long de la route.
La grille mobile anti-émeutes utilisée par la police.
cc Pierre-Olivier Chaput/Radio Parleur
Ce contre-sommet est finalement une victoire politique pour le
gouvernement et plus largement pour l’État. En effet le déroulement du
G7 n’a absolument pas été dérangé par les mobilisations. Le camp a été
infiltré par une policière, qui a été surprise en train d’envoyer photos
et informations multiples sur des centaines de personnes notamment
lors d’assemblées générales ou de réunions sensibles, dont elle rendait
compte à sa hiérarchie (3). Les arrestations et emprisonnements ont
été très nombreuses. Les actions et rassemblements n’ont pas réuni
beaucoup de monde hormis à la balade de Hendaye.
Repenser les contre-sommets
Tout cela doit amener à certaines conclusions. Tout d’abord il faut
analyser que les organisations de la plate-forme ont joué un rôle de
négociatrices plutôt que véritablement contestataires, et noter leur
inconséquence politique et organisationnelle, qui a mis en danger de
nombreuses personnes. D’autre part noter l’incapacité des organisations
révolutionnaires à se concerter pour apporter une réponse solide à ce
genre d’événements. On ne peut plus laisser la place à des légalistes
frileux vis-à-vis de l’action directe, et porteurs d’un anticapitalisme
tronqué, se résumant dans la plupart des cas au retour à un stade
antérieur de développement capitaliste (4), ou à un contrôle citoyen
institutionnel idéalisé, qui ne tient absolument pas compte des siècles
de lutte des classes ni du rôle historique de l’État, chien de garde
des intérêts du capital.
Il faut enfin réaffirmer face aux tendances à idéaliser une
opposition insurrectionnelle, que cette dernière doit se penser et
s’organiser véritablement, et qu’elle doit tenir compte du rapport des
forces en présence, qui nous était lors de ce G7 extrêmement
défavorable. Des actions de blocage et de sabotage dans des villes
autour du Pays basque nord auraient pu être une alternative.
Quoi qu’il en soit, ce G7 laisse un goût amer, et une « impression de bon gros gâchis »
pour reprendre les mots d’un militant de l’UCL sur place. En effet,
même si notre stratégie est avant tout la construction du rapport de
forces et du contre-pouvoir sur les lieux de travail, nous pensons que
la propagation des idées révolutionnaires peut aussi passer par le
blocage – ou au moins la perturbation – des sommets des maîtres du
monde. A condition de bien lier les deux !
Arthur (UCL Bordeaux),
avec les camarades d’Auvergne et de Gironde
avec les camarades d’Auvergne et de Gironde
(1) « Ministre négociateur », Le Canard enchaîné, 28 août 2019.
(2) « À aucun moment les plateformes n’ont eu de “discrètes négociations avec Laurent Nunez” ». Lire leur communiqué de presse.
(3) « A propos de la flic infiltrée débusquée au contre-sommet du G7 » sur Iaata.info.
(4) Les organisations comme Attac se revendiquent anticapitalistes,
mais ne ciblent dans leur discours que des morceaux du problème :
mondialisation, concentration du capital par quelques individus, etc.
Elles laissent entendre qu’il suffirait de limiter les symptômes, sans
remettre en question les causes, à savoir les fondements du capitalisme,
comme la propriété privée.
Source : http://unautrefutur.org/le-bon-gros-gachis-de-biarritz-un-recit-libertaire-du-contre-g7/